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L’IA générative s’invite dans les accords sociaux, les cryptoactifs frappent à la porte de l’immobilier et la régulation européenne impose la vérification systématique des bénéficiaires de virements. Ces trois mouvements n’en forment qu’un : refonder la confiance bancaire à l’ère numérique sans sacrifier l’efficacité opérationnelle, ni l’exigence réglementaire, ni l’humain.

Le nouveau contexte : innovation encadrée, confiance augmentée

  • IA & capital humain : le Groupe BPCE vient de signer un accord de gestion des emplois et des parcours intégrant un volet IA générative — cadre négocié, dialogue social itératif, évolution des compétences. C’est une première française de cette ampleur qui normalise l’usage de l’IA au cœur des métiers, pas en périphérie.

  • Crypto & usages réels : Delubac & Cie lance “Delukey”, dispositif permettant de mobiliser des crypto-actifs pour acheter un bien immobilier — un pont concret entre univers fiat et blockchain.

  • Paiements & sécurité : le règlement (UE) 2024/886 sur les paiements instantanés impose notamment la vérification du bénéficiaire (VoP) IBAN/nom à partir du 9 octobre 2025, pour réduire les erreurs et fraudes aux virements. La Fédération bancaire française et le portail Service-Public ont confirmé le calendrier et l’objectif.

Dans ce cadre, l’UE a aussi finalisé MiCA (marchés de crypto-actifs) — stablecoins encadrés depuis juin 2024 et application générale au 30 décembre 2024 — et la Travel Rule (Règlement 2023/1113) qui exige l’accompagnement d’informations pour les transferts de fonds et de crypto-actifs. Les autorités publient déjà les lignes directrices d’exécution.

1) Pourquoi les banques investissent massivement dans le numérique ?

Pour répondre à une demande client qui bascule dans l’instantané

En Europe, les virements instantanés deviennent standard (prix aligné sur le virement classique, exécution 24/7 en ~10 s). Leur part était encore modeste en 2023 (6,4 %), mais l’alignement tarifaire début 2025 et la VoP attendue fin 2025 doivent accélérer l’adoption — avec des attentes de sécurité accrues à l’ajout de bénéficiaire.

Pour transformer le P&L par la productivité et la qualité de service

L’IA générative est désormais vue comme un levier matériel de productivité et de revenus : McKinsey estime un potentiel de 200 à 340 Md$ annuels pour le secteur bancaire mondial (2,8 % à 4,7 % du chiffre d’affaires), via gains d’efficacité, meilleur service et nouveaux cas d’usage.  La réalité des grands établissements reste nuancée : beaucoup investissent, moins d’un quart sont capables d’industrialiser de façon robuste et génératrice de valeur, un “impact gap” documenté par BCG.

Pour rester dans la zone verte réglementaire

Au-delà du RGPD et de l’IA Act à venir, deux piliers arrivent en banque de détail :

  • MiCA : autorisations, transparence, abus de marché, stablecoins — un cadre qui professionnalise le marché crypto côté acteurs régulés.

  • Travel Rule (2023/1113) : informations obligatoires accompagnant tout transfert (fonds & crypto-actifs). L’EBA a publié des guidelines détaillant contrôles et détections d’informations manquantes.

2) Quelle valeur pour quel impact ?

Valeur client : sécurité perçue et fluidité mesurable

  • La VoP IBAN/nom doit réduite les erreurs de destinataire et certaines fraudes (usurpation, manipulation). Défi : garder des parcours friction-light en cas de quasi-correspondance du nom (diacritiques, translittérations), point explicitement anticipé par le texte européen.

  • L’instantanéité impose une pré-décision antifraude très fine (scoring en amont, signaux faibles), sans quoi les coûts opérationnels explosent. La presse généraliste le rappelle : les banques arbitrent entre validation immédiate et délai de sécurité lors de l’ajout de bénéficiaire.

Valeur organisation : montée en compétences & dialogue social adulte

L’accord BPCE donne un exemple crédible : gouvernance IA, transparence sur les impacts, accompagnement des métiers et trajectoires d’employabilité — signal fort pour tout le secteur : l’IA n’est plus un “pilote” mais un composant du modèle opératoire.

Valeur système : stabilité et confiance

  • L’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (Banque de France) indique pour 2023 un taux de fraude au virement très bas (0,001 %) malgré des montants unitaires élevés ; en 2024, la fraude par manipulation a cessé de croître et la tendance globale s’améliore grâce aux mesures techniques et à la sensibilisation. Traduction terrain : les investissements paient, mais la vigilance reste structurelle.

3) “Se nicher” dans le numérique : viabilité pour une grande banque ?

Oui, à trois conditions :

  1. Être excellent quelque part (pas partout).
    Exemples de niches à forte valeur :

  • Paiement instantané “sans frottement” avec VoP de nouvelle génération (comparaison floue côté client, seuils d’alerte explicables, UX contradictoires bien gérées).

  • Crypto-services régulés à forte teneur conformité (on/off-ramp, conservation, tokenisation de collatéraux). L’initiative de Delubac sur l’immobilier montre la demande ; elle rappelle aussi l’exigence de LCB-FT : en juin 2025 l’ACPR a sanctionné la banque (blâme + 600 k€) pour des carences de surveillance et délais d’analyse — preuve que l’innovation doit s’adosser à des contrôles exemplaires.

  1. Industrialiser la conformité (pas la subir).
    La Travel Rule et MiCA imposent des chaînes de contrôle qui doivent être “designées” : capture de données, enrichissement, matching, gestion des exceptions et preuves d’audit. Les guidelines de l’EBA détaillent déjà ce que les PSP et CASP doivent détecter en cas d’informations manquantes.

  2. Arrimer l’IA à la stratégie, pas l’inverse.
    Le différentiel de performance vient moins des modèles que des cas d’usage bancarisés (KYC/KYB augmenté, anti-fraude temps réel, L2 support client, conformité proactive) et du change (compétences, operating model, déplacements de pouvoirs). McKinsey chiffre le gisement de valeur ; BCG documente l’écart entre discours et impact quand la gouvernance n’est pas prête.

Ce que font les établissements “dans la course” (6–12 mois)

1) Paiements instantanés : cap sur la VoP “friction-smart”

  • Implémenter la Vérification du Bénéficiaire avec tolérance contrôlée (fuzzy match, seuils, gestion des homonymes).

  • Mettre en place un moteur de règles explicables côté client : messages clairs en cas de quasi-match (réassurance plutôt que blocage brut).

  • Mesurer “time-to-yes” + taux de révisions de bénéficiaire après alertes, pour piloter l’UX de sécurité.

2) IA générative : sécuriser 3 cas d’usage bancarisés

  • Assistance conformité (pré-analyse d’alertes LCB-FT, justification de décisions, préparation dossiers comité) avec garde-fous et journalisation.

  • Service client augmenté (classification demandes, réponses assistées, résumé contextuel) en minimisant hallucinations et fuites via politiques de données.

  • Recherche & synthèse réglementaire (MiCA/Travel Rule/Instant Payments) pour les équipes risques et juridiques.

Gouvernance : chartes d’usage, RACI, revue périodique des prompts/modèles, “kill switch” en cas de dérive. L’accord BPCE illustre le socle social à poser.

3) Crypto sous MiCA : choisir son rôle

  • Observateur exigeant (veille, partenariats “light”),

  • Orchestrateur régulé (on/off-ramp, conservation, reporting),

  • Pionnier de cas d’usage (collatéral tokenisé, flux internationaux).
    Dans tous les cas : conformité by design (KYT, sanctions screening, due diligence renforcée, documentation Travel Rule).

4) Risk & Controls : passer en “pré-crime”

  • Scoring consolidé (client, appareil, contexte, comportement) avant exécution instantanée.

  • Observabilité de bout en bout (traçabilité, explications, rejouabilité), utile en inspection interne/ACPR. Les décisions de sanction récentes montrent que l’absence d’industrialisation documentaire coûte cher.

Réalités opérationnelles des grandes banques : ce qu’Omézia voit sur le terrain

  1. Systèmes historiques hétérogènes : data quality et latences compliquent l’instantané et la VoP. D’où l’intérêt d’un couche d’orchestration dédiée aux contrôles (APIs, cache, scoring).

  2. Tension coûts/valeur : l’alignement tarifaire de l’instant payment et la montée des contrôles pèsent sur l’OPEX ; la contrepartie se joue sur la réduction de la fraude, la fidélisation et les revenus de services (B2B, “request-to-pay”, wallets).

  3. Change management : l’IA déplace des tâches, pas seulement des outils. Les succès durables s’adossent à un accord social et à des parcours de compétences (data, contrôle, client) plutôt qu’à des POCs isolés.

En synthèse

  • Le client demande l’instantané, la régulation exige la preuve, l’actionnaire attend l’efficacité.

  • IA, crypto et paiements ne sont pas trois boîtes : ce sont trois faces d’une même transformation, organisée autour d’un contrat de confiance numérique.

  • Les gagnants ne seront pas ceux qui empilent des technologies, mais ceux qui orchestrent l’innovation avec une conformité industrialisée et un capital humain augmenté.

À l’heure où l’innovation ne vaut que si elle est fiable, explicable et inclusive, qui assumera durablement le rôle d’architecte de confiance : les banques historiques, réinventées ? les BigTechs régulées ? ou un nouvel écosystème hybride que les banques piloteront ?

Notre point de vue chez Omézia : ce rôle appartient aux établissements qui sauront aligner stratégie d’IA, maîtrise réglementaire (MiCA/Travel Rule/Instant Payments) et expérience client sans friction et le démontrer, preuves à l’appui.

Sources clés :